The Social Network : Seul au monde

The Social Network est un film sorti en 2010 réalisé par David Fincher qui raconte comment Mark Zuckerberg, étudiant de Harvard parmi tant d'autres mais génie en informatique, va créer le site Facebook qui va imposer une réelle révolution dans le monde des réseaux sociaux mais en même temps va faire imploser l'amitié de ses pionniers.

Où se situe la séquence ? : Dans le film, elle se situe à 1 heure et 51 minutes et dure environ 4 minutes.

Le contexte de la séquence : Après des heures passés en procès à être confronté à son ancien meilleur ami qui lui réclame 600 millions de dollars, Mark, plongé dans son ordinateur, se retrouve seul dans les bureaux où l'avocate Marylin Delpy vient le rejoindre.

The social network est composé de flash-back qui retrace la création de Facebook, mise en corrélation avec les procès de Mark Zuckerberg (son fondateur). Dans le dernier flash-back, Mark est seul dans les bureaux de Facebook après avoir reçu un appel inquiétant d'un de ses partenaires, Sean Parker, qui s'est fait appréhendé pour possession de drogues lors d'une fête pour célébrer le cap du million de membres sur Facebook. Mark est seul dans cette scène, ce qui n'est pas arrivé dans le film depuis... le tout début après qu'Erica Albright l'ait planté dans un bar.

Nous sommes toujours dans le flash-back quand tout à coup, une voix résone dans le présent, celle de l'avocate Marylin Delpy présente au procès en qualité d'assistante et non pour représenter Mark. Il y a une continuité dans l'action de la scène qui fait qu'elle semble se dérouler sur le même plan temporel. Mark est plongé dans ses pensées et revient à la réalité en entendant cette voix presque sortie d'outre-tombe. Il se tourne alors vers cette voix qui pour nous est encore un peu inconnue car durant tout le film, le temps de parole du personnage de Marylin Delpy ne se résumera qu'à quelques minutes voire même quelques secondes. La séquence s'ouvre ainsi sur un plan en très légère plongée sur Mark. C'est un plan d'intérieur nuit car on remarque à la fenêtre que la nuit est clairement tombée.

Le second plan très légèrement en contre-plongée est un plan raccord car il nous révèle la personne faisant irruption dans les pensées de Mark, Marylin. Bien qu'involontaire, notez que les deux prénoms commencent de la même manière jusqu'à leur troisième lettre. Une connexion semble déjà s'établir entre les deux personnages. Là où le premier plan nous indiquait que la journée était finie, ce second plan nous le confirme puisque Marylin tient son manteau, visiblement prête à partir. Elle le dit elle-même à Mark, comme si au fond elle savait qu'il avait bien perdu toute notion du temps comme on nous le suggérait avant. Ce à quoi Mark répond étonnamment "Oui j'étais juste assis là". Il n'y aucun lien logique entre la phrase de Marylin et la réponse de Mark, ce dernier semble totalement déconnecté de ce qui se passe. 

Si l'on peut voir The social network comme une grande chronique sur les réseaux sociaux, il délivre aussi un message pessimiste de la chose. Connecté sur Facebook, les gens ne voient pas le temps passer et reste en somme dans ce qu'on pourrait qualifier une position figée, à savoir la position assise. Mark est assis mais il formule sa réponse à Marylin de telle sorte à dire qu'il est dans sa position naturelle. Mark a créé Facebook et jusque dans son positionnemment, il deviendra lui-même un utilisateur de Facebook, quelqu'un de perdu temporellement parlant et cloué sur son fauteuil (une position qu'il ne quittera d'ailleurs jamais durant toute la séquence). Marylin au contraire est debout, cela nous montre qu'elle garde une distance par rapport à lui.

Dans le plan suivant, Mark se replonge dans son ordinateur, laissant un peu Marylin dans le vide. La réaction semble un peu déplacée mais reste à relativiser, durant tout le film Mark et Marylin n'ont partagés qu'une seule scène ensemble, aucun lien ne s'est vraiment forgée entre eux. De fait, Marylin n'était pas le personnage forcément attendu à la fin mais le fait est qu'au sortir du film il y a un nombre de personnages extrêmement limités qui ait gardé un lien avec Mark. Parce qu'il ne lui a pas porté préjudice à la différence de son meilleur ami ou de son ex-petite amie, Marylin apparaît comme l'une des seules disposés à avoir encore un dialogue avec Mark, mais lui-même l'oublie à cause de toutes les personnes qu'il a vu se détacher de lui. Le seul lien affectif que semble avoir Mark dans le début de cette séquence est avec son ordinateur, ce qui est dans le fond misérable. Marylin lui demande ce qui est arrivé à Sean Parker, autre preuve de la continuité de la scène et de son inscription presque figée dans le temps. Le flash-back laissait un Sean Parker dans une situation embarrassante, le présent nous apprend ce qu'il est advenu.

Pour répondre à cette question de Marylin, Mark ne prend même pas la peine de se tourner vers elle. Il semble même lui répondre en écrivant sur son clavier. Là encore la critique du film sur comment la communication s'est perdue avec les réseaux sociaux est flagrante. On ne communique plus frontalement mais à travers un écran. Mais très vite Mark tente de se rattraper avec Marylin. Le plan d'après est un raccord dans le temps car Mark commence à tourner la tête et finit par regarder Marylin dans le plan d'après.

Cette fois-ci Mark est mis en valeur sur le plan, le spectateur est au même niveau que lui (ni plongée ni contre-plongée). Il engage la conversation avec Marylin en l'invitant à manger et se justifie en lui rappelant qu'elle n'avait mangé qu'une salade. Cette réplique nous renvoit à un autre instant du film où dans ce même bureau, Mark était encore rivé sur son ordinateur et Marylin également présente à déguster une salade. Une tentative avortée car Marylin répondra par la négative "Je ne peux pas" car Mark est un client et parce que le procès n'a pas contribué à donner une bonne image de lui.

Enchaînant le champ contre-champ, pour la première fois depuis le début de la séquence il y a un réel face-à-face entre les deux personnages, un vrai regard porté sur l'un et l'autre mais le ton de la séquence n'en reste pas moins froid. Si Mark était apparu désinvolte quelques secondes plus tôt, Marylin elle est négative. Dès lors on comprend ce besoin qu'avait Mark de rester dans son ordinateur, durant tout le film rares auront été les échanges amicaux avec des personnes plus ou moins proches de lui. Mark est las de la réalité et il se réfugie dans le monde de Facebook, un monde régit par lui-même où il peut donc tout contrôler. Ce que Mark perd dans le contact humain, il le gagne dans les relations à distance mais est-ce que cela lui apporte forcément le bonheur ? Mark est un humain comme les autres et il a ce besoin de contact avec les gens. Il aura été tellement pris par Facebook et ensuite tellement enfermé dans son propre système qu'il en oubliera ainsi sa manière d'aborder une femme. Malgré l'intention louable d'inviter Marylin à manger, sa formule reste maladroite.

Dans le plan suivant, Mark referme délibérement son ordinateur, un lien est romput mais un autre s'engage. A ce moment-là, Mark part sur une toute direction et s'affirme comme n'étant pas "un mauvais gars". La réponse de Marilyn est très directe mais c'est parce qu'elle est directe qu'elle est sincère. Elle sait qu'il n'est pas un mauvais gars. Le lien est réinstauré entre les deux personnages après l'échec du dîner. Mais là où Marylin ne s'était pas justifié quand au refus d'aller dîner avec lui, elle apporte subitement un bon nombre de justifications (d'après ses expériences dans le juridique) quand au fait que Mark n'est pas quelqu'un de mauvais. Marylin n'est plus la femme qui nous était resté, à savoir celle distante et peu bavarde, elle se révèle et par la même occasion domine largement les 3 plans suivants. Elle est debout, droite et répond rapidement, tandis que Mark est assis, instable et prend plus de temps pour répondre.

Mais les deux personnages vont finir par être sur le même pied d'égalité, la preuve ultime que le lien renaît c'est que Marylin s'assoit dans le plan suivant. Dès lors, elle se met au même niveau de Mark quand celui-ci lui demande la suite des événements.

Les deux personnages ont beau être d'égal à égal sur le plan spatial, Marylin domine toujours la séquence. Mark a demandé ce qui allait se passer maintenant, Marylin se prête à sa demande et reste une nouvelle fois très directe avec lui. Elle énonce ce que Mark devra faire, sans jamais créer l'illusion de lui donner des ordres, elle lui dit ce qui est la seule chose à faire à savoir payer. Mais elle adopte un point de vue relativiste car elle sait que tout ce qui est question d'argent n'est pas un problème, non pas pour Mark en lui-même mais pour le fondateur de Facebook. Pendant tout le film, nous avons un Mark inflexible, presque autoritaire vis-à-vis de ses concurrents (en particulier les frères Winklevoss) mais dans cette séquence de fin, la tendance s'inverse radicalement. Mark doit se soumettre mais en tant que fondateur de Facebook, cela équivaut pour lui à payer "un excès de vitesse".

Mark est totalement pris de court durant la scène, il tente de s'expliquer mais Marylin le prend à revers. Mis en scène par une succession de champ contre-champ, l'échange devient alors une confrontation, ce à quoi Mark a été sujet durant tout le film. Marylin apparaît radicale mais elle est toujours sincère et surtout réaliste. Elle monopolise littéralement le temps de parole et met Mark face à la réalité, une réalité dont il n'était pas attaché au début de la séquence mais qu'il a volontairement choisi d'emprunter mais non dans le but d'être quelqu'un mis à mal par une Marylin usant intelligemment de tout savoir en matière de jury.

Durant ce laps de temps qui paraît être une éternité pour Mark (là encore nous retrouvons la notion du temps et de comment chacun la perçoit), Mark tapote légèrement son ordinateur, comme s'il éprouvait ce besoin d'y retourner dedans pour échapper à la (dure) réalité que Marylin lui soumet. Même quand l'échange se finit, Mark veut retourner sur l'ordinateur mais le dit avec cette fois sous une formule de politesse, il demande si ça ne dérangerait personne qu'il reste. Cette séquence nous montre bien qu'en quelques secondes Mark a changé, Marylin l'a presque remis dans le droit chemin des réalités mais au final, il retourne continuellement là où il se sent mieux et là où de par sa solitude, il ne risque pas d'avoir affaire à une confrontation verbale. La séquence peut même être vu comme une sorte de bilan car sont évoqués le moment où il écrivait sur son blog ce qui a constitué des preuves contre lui dans son procès.

Le plan suivant fait un raccord avec le précédent. Marylin commençait à se lever et nous la voyons ainsi partir dans un plan plus large qui nous révèle une partie du bureau et en arrière-plan les lumières d'une ville plongé dans la nuit. Preuve entre autre que le film touche à sa fin, la nuit symbolise la fin de quelque chose mais elle symbolise en même temps une tristesse inéluctable voire même une solitude qui est à comparer avec l'état d'âme actuel de Mark. Mais en même temps, Mark reste dans l'esprit de quelqu'un de poli avec Marylin malgré les réponses sèches qu'elle lui a formulé. Il la remercie de son aide, mais au fond de quelle aide veut-il parler ? Son procès que Marylin a simplement assisté ou cette conversation qui lui a certainement permis de revenir à la réalité ?

Le dernier échange entre Marylin et Mark (qui constitue d'ailleurs le tout dernier dialogue du film) est lourd de sens. Mark est cette fois de dos quand Marylin lui parle mais il prend cette fois la peine de se retourner, preuve encore une fois qu'un changement en lui s'est opéré au cours de la séquence. "Vous n'êtes pas un salaud Mark, mais vous faites beaucoup d'efforts pour l'être", telle est la dernière réplique du film directement adressé à Mark. L'effet miroir avec la scène d'introduction est éloquente. Erika Albright lui rétorquait alors qu'il était un salaud, ce à quoi il ne répondit rien mais paraissait visiblement dérangé. La réplique de Marylin est en parfaite opposition avec celle d'Erika mais la réaction de Mark, elle, est exactement la même. Silencieux mais également touché par ses mots. Le calme installé semble pesant, à ce moment-là il a la possibilité de se replonger dans l'ordinateur, mais au lieu de ça il reste pensif aux derniers dires de Marylin mais surtout à tout ce qui vient de se passer.

Une fois Marylin partie et que le lien est définitivement rompue (remarquez d'ailleurs que les deux derniers champ contre-champ les mettent clairement en opposition ; Marylin est filmé en contre-plongée sur les couleurs chaudes du mur qui rappellent le jour tandis que Mark est filmé en plongée avec le décor froid de la nuit derrière), Mark est seul mais l'ordinateur est toujours là, ce qui en soi fait office de présence pour lui.

Dans un état proche du désespoir, Mark entre le nom d'Erika Albright, sa page Facebook s'affiche et commence alors un profond sentiment de mélancolie. Il y a une nouvelle succession de champ contre-champ en caméra subjective, Mark regarda Erika sur son ordinateur et l'ordinateur avec Erika regarde Mark. Le lien avec l'introduction est parfait, avant Facebook Mark et Erika étaient face-à-face, après Facebook un écran et ses pixels les séparent désormais. Les liens d'amitié sont virtuels et par conséquent mécaniques. Et vous remarquerez à quel point l'état de Mark dans toute la scène qui suit est aussi mécanique. Après des secondes de silence et d'hésitation, Mark envoit une invitation d'ami à Erika, commence alors la mécanique d'un geste répété maintes fois et à une fin proche du pathétique. Mark réactualise sa page continuellement d'un simple clic pour voir si Erika accepte sa demande d'ami. Mark est profondément seul et reste dans l'attente d'une réponse. L'histoire ne dit pas si Erika acceptera sa demande et c'est en ça que la fin est magistral. Comme soulevé précédemment dans le film, Facebook est un site jamais fini. La relation contradictoire qu'ont eu Mark et Erika dans la vraie vie peut se répercuter dans les réseaux sociaux. A la différence que lorsque l'on veut plaquer quelqu'un, on doit l'affronter face-à-face, Facebook propose la solution de la lâcheté car si l'on peut accepter des amis, on peut aussi en retirer.

C'est dans ce sens que la fin de The social network n'est pas une fin en soi, le processus est continuel, Facebook ne s'arrête jamais, les amis vont et viennent, les profils changent. Mark se morfond dans son fauteuil et commence alors un nouveau champ contre-champ entre lui et l'ordinateur où s'opère un zoom. Au ce moment précis, la musique des Beatles "Baby, you're a rich man" se laisse entendre et force un lien direct avec la conclusion. Mark est riche et jeune. Le film dévoile alors des explications sur ce que sont devenus les personnages mais ce qui concerne Mark Zuckerberg reste plutôt vague.

"Mark Zuckerberg est le plus jeune milliardaire du monde" telle est la conclusion apporté au personnage allié à un regard profondément désabusé. Le message ne nous dit pas vainement que l'argent n'apporte pas forcément le bonheur, mais bien que la réussite professionnelle ne s'allie pas toujours à la réussite sociale. Il a crée un réseau pouvant rassembler des centaines de millions de personnes, mais pour se faire il a perdu ses amis les plus proches. On peut y voir l'image d'un héros qui s'est sacrifié pour le bien de tous, mais en même temps le film délivre plusieurs messages non pas sur Facebook en soi mais bien sur la société de consommation d'aujourd'hui dont les liens sont désormais factices.

Conclusion : The social network se trouve un aboutissement complet avec cette séquence, véritable chronique sur la société en perpétuelle mouvement et sur la place que chacun tente de se faire. Le plan sur la page Facebook d'Erika est une bonne métaphore sur le fait que Mark est incapable de tourner la page. Mark a voulu laisser une marque, ce qu'il a fait, mais au sommet de sa réussite, là où personne n'est allé avec lui, c'est là qu'il trouve sa solitude. Après tout, ce n'est quand nous sommes au-dessus des autres que nous avons le plus besoin d'eux.

Merci de votre attention.