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Sur la route de Mulholland Drive
16 avril 2013

V pour Vendetta : Vous voilà V !

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V pour Vendetta est un film sorti en 2006 réalisé par James McTeigue qui raconte le combat d'un homme masqué appelé V contre le gouvernement fasciste en place à Londres et qui par la même occasion va faire la rencontre d'Evey, une jeunne femme qui va profondément changer à son contact mais qui sans le savoir, va aussi le changer lui.

 

Où se situe la séquence ? : Dans le film, elle se situe à 10 minutes du début et dure environ 2 minutes.

Le contexte de la séquence : Transgressant le couvre-feu, Evey se fait arrêter par des agents du gouvernement qui menacent ouvertement de la violer mais un homme masqué armé d'un poignard fait son apparition et réussit sans mal à la débarrasser de ses agresseurs. La séquence nous montre donc la rencontre d'Evey avec V après son sauvetage.

 

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Instinctivement armé d'une bombe lacrymogène, Evey (Natalie Portman) est au sol et est donc filmé en plongée mais non du point de vue de V qui se situe à plusieurs mètres d'elle. Evey est dans l'ombre, ce qui caractérise à la fois le ton sombre de la séquence mais également l'état d'esprit dans lequel elle est. Elle n'a encore aucune idée de qui est la personne qui vient de la sauver. Voyant bien qu'elle est encore en état de choc, V (Hugo Weaving) engage la conversation.

 

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Filmé en contre-plongée et distinctement mis en valeur par sa forme à la fois simple et insolite (dans l'ombre, seuls se dictinguerait son chapeau et son cape, comme une présence flottante), V se trouve dans la même sombre ruelle qu'Evey mais pour autant, une façade derrière permet d'apporter de la lumière dans lequel il occupe tout l'espace. Le symbolisme est directement poussé à fond pour nous orienter sur ce qu'est le personnage de V, quelqu'un entouré d'un monde noir mais qui apporte avec soi une certaine lumière. Dès lors qu'il s'adresse avec Evey, V se veut rassurant en souligant qu'il ne lui "veut aucun mal". Mais à ce moment-là du film, nous sommes à la place d'Evey, dans le flou quand aux intentions de ce singulier personnage qui a émergé de la nuit.

Evey prend cette fois la parole avec un classique "Qui êtes-vous ?". Classique car même sans masque ou sans cape, la question se tient toujours. Evey veut connaître l'identité de son sauveur, de la même manière la première phrase de V était classique pour rassurer Evey, mais là où la cassure sera totale après ses quelques secondes d'échanges très conventionnelles, c'est bien par la réponse de V. Au lieu de dire simplement son nom, le personnage s'engage dans des explications à l'image de sa personne, étrange et difficile à saisir. Ce qui partait d'une question simple finit sur une réponse philosophique. Qui est ce personnage ? Ou qu'est-ce que ce personnage ? V joue avec les mots et se présente comme un homme sous un masque. Sa réponse est ainsi une pure tautologie, une évidence que ne manquera pas de rétorquer Evey.

 

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En prenant légèrement V de haut pour ainsi dire qu'elle a bien noté qu'il était un homme masqué, on voit que la peur a laissé place à l'incompréhension sur le visage d'Evey. En quelques secondes, V a transformé une scène sur des bases basiques (et par la même occasion a déjà un peu transformé Evey) en une rencontre prête à prendre des proportions inattendues, suivant un fil que V contrôle. On remarquera d'ailleurs que sur ce gros plan d'Evey, V est en hors-champ mais se fait tout même entendre. Sa voix rauque occupe désormais l'espace où se trouve Evey, prouvant ainsi la résonance porté sur le personnage. Le plan d'après est un raccord sur V qui continue de balbutier de manière étirée, il ne semble pouvoir s'arrêter et continue sur une voie philosophique en soulignant "le paradoxe de demander à un homme masqué qui il est". Une réponse qui aurait pu tenir sur trois secondes prend aussi le triple du temps normal. De toute évidence, V n'est pas quelqu'un comme les autres, comme de toute évidence V est un homme masqué.

Evey prend fin à cette discussion transgressant tous les codes d'une rencontre par un simple "D'accord !". Visiblement déjà à bout de toutes ses paroles, Evey semble aussi quelque peu captivé par la présence imposante de son sauveur masqué, comme serait une femme en détresse devant un des nombreux justiciers masqués du grand écran, mais le ton résolument noir de la scène et surtout le sens des mots de V rendent cette scène de rencontre plus authentique.

 

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Mais V ne s'arrête pas là, aussi bien dans ses paroles que dans sa position. Depuis le début de la séquence, V n'a cessé de s'avancer prudemment et délicatement vers Evey, refusant ainsi tout geste brusque susceptible de faire ressurgir en elle une certaine crainte. V n'a aucune raison de l'inquiéter, pour le moment il a seulement le pouvoir de l'impressionner avec la force des mots. V est de nouveau filmé en contre-plongé sous un angle qui nous place du point de vue d'Evey. Elle reste cloué par sa présence, mais le plan suivant sur elle change radicalement des autres. Toujours en plongé, Evey est dans l'ombre mais la lumière, aussi faible soit-elle, à côté d'elle se discerne. La lumière, synonyme de connaissance, est à portée de main pour elle, un prélude à ce qui va arriver dans la mesure où V l'abreuvera de paroles riches et complexes qui résumeront en quelques secondes le monde autour d'eux (le gouvernement fasciste).

Avant de retourner sur Evey, V nous est montré une dernière fois comme quelqu'un de très convenant avec elle car il baisse la tête en signe d'un salut. Encore une fois, il reste très sobre dans chacun de ses mouvements pour ne pas très perturber Evey. Une méthode qu'il va vite laisser derrière lui.

 

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Pour la première fois à l'encontre d'Evey, V a un geste brusque qui ne manque pas de la faire sursauter un peu. Il y a  ici un raccord parfait dans l'enchaînement de ses deux plans, V crie "Voilà !", secoue frénétiquement ses bras de telle sorte à agiter sa cape et Evey en conséquence éprouve un léger sursaut. Une rupture s'opère, V met à l'épreuve Evey pour savoir si elle continuera à rester omnubiler par une présence désormais instable à défaut d'être galante comme avant. Mais le taux d'élocution ne faiblit pas pour autant, au contraire il accroît.

V se lance dès lors dans une tirade en V dont il s'approprie totalement la poésie mais aussi les gestes. Masque oblige, toute expression du personnage nous est caché, il utilise en revanche la langage du corps pour pallier à ce manque - il montre du doigt Evey lorsqu'il parle de "victimes", il lève le poing (un signe flagrant de révolution) en parlant de "vox populi" et il lève un peu après les deux poings en même temps au mot "vaincre".

 

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Durant ce discours, la caméra revient par 3 fois sur Evey, mettant en relief une réelle évolution de son regard sur V : elle est tout d'abord étonné par la vitesse à laquelle elle parle, perdue devant tout ce flot de paroles et au final jette un regard de dédain qui amorcera sa future réplique bien des secondes plus tard. V est le maître de la séquence, il monopolise à la fois l'écran et le discours. A mesure qu'il s'avance vers Evey, la caméra effectue aussi un travelling avant pour pouvoir capter la quasi-totalité de son masque. Son discours ne semble pouvoir prendre fin, la seule fin possible à ce speech réside dans la caméra qui finira bien par s'arrêter sur lui une fois qu'il occupera totalement l'espace. V apparaît menaçant mais en même temps, ce sourire figé sur son masque relativise la situation. V est l'exemple même qu'il ne faut pas se fier aux apparences.

 

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Dans la fin de son discours, V atteint la paroxysme de la brutalité, visiblement très concerné par ses propres dires, il sort un de ses couteaux et signe sa marque sur une affiche. La caméra suit intelligemment ses deux gestes répétés pour former la lettre V, le spectateur semble lui-même transpercé par la lame de V. De manière plus symbolique avec cette affiche désormais marqué d'un V par V, le spectateur est marqué d'un V par V à la fois de son geste mais aussi par les mots. L'inscription sur l'affiche nous dit la chose suivante : "La force par l'unité, l'unité par la foi" avec en bas le sigle du gouvernement fasciste. Les mots employés ne sont pas anodins, l'unité échappe totalement à un personnage comme V étant donné qu'il est une seule figure en soi mais cette unité on sait qu'il l'aura dans la suite du film en réussissant à rassembler le peuple, un peuple qui aura foi en lui pour une cause ayant recours à la force. Cette affiche certainement placardé par le gouvernement est un signe à vent coureur, car ce gouvernement se retrouvera renversé par des valeurs qu'il défendait visiblement et dont il en faisait l'éloge et la propagande.

 

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Après sa marque apposé sur l'affiche, le discours de V se révèle plus retenue en élocution mais tout aussi radicale en propos. Ce nouveau plan sur V est un effet miroir à celui où il commencait son speech. La caméra effectue cette fois un travelling arrière, nous nous éloignons de lui en contre-plongée et nous comprenons que nous revenons au point de vue d'Evey qui comme nous n'a pas pu en placer une, pour le dire comme ça. Le plan sur Evey est une nouvelle fois annonciateur de ce qu'elle va dire, son regard posé sur V est désormais fait de pitié.

 

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Conscient mais nullement fâché du regard presque pathétique d'Evey, V s'en amuse et décide de mettre un terme à son tirade. Le travelling arrière continue et s'arrête au moment où V retrouve sa galanterie et se présente enfin en prenant soin de saluer Evey. La caméra le suit en train d'enlever le chapeau, tel un sujet qui saluerait son monarque. V cette fois ne domine plus la scène et le spectateur est dans l'expectative quand à savoir quelle sera la première phrase à chaud d'Evey.

 

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Mais comme le réalisateur a voulu nous le montrer, la curiosité d'Evey a laissé place à un soupçon de pitié. D'une question purement banale et courante, V en aura tiré une réponse à rallonge, assommante et limite intimidante. D'où la question froide d'Evey "Êtes-vous un malade mental ?". Enchaînant ensuite le champ contre-champ, V trouve toujours une réponse à donner mais cette fois plus compréhensible. La conversation revient cette fois dans les règles. C'est au tour d'Evey de se présenter et à ce moment précis s'engage la troisième et dernière partie de la séquence.

 

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V n'a jamais été aussi prêt d'Evey qu'à cet instant. Nous nous situons de son point de vue pour engager un autre geste galant de sa part. V tend sa main pour l'aider à la relever et lui demande naturellement si elle est blessé. Là où on voit que le ton a radicalement changé c'est que V pose désormais les questions et que Evey, une personne comme une autre, y répond dans le vif sans passer par des chemins philosophiques. Elle se présente ainsi, son prénom ne manque pas d'interpeller V auquel on discerne alors un soupçon de croyance en Dieu. Lorsqu'elle répond qu'elle va bien grâce à lui, V impose une nouvelle fois une sorte de charme, prétextant qu'il n'a fait que remplir son rôle. Une femme est aggressé, un homme vient à son secours. Mais ce rôle est-il toujours pleinement assumé dans la société ? Nous y reviendrons dans la conclusion.

 

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La suite de la séquence est une série de champ contre-champ où V propose à Evey de l'accompagner à ce qu'il appelle une représentation de musique. Pour la première fois depuis le début de la séquence, Evey a une information claire sur son sauveur, il aime la musique et il est musicien. Pour la première fois, V apparaît comme une personne normalement constitué. Et c'est parce qu'il nous apparaît plus normal maintenant que la mise en scène se veut elle aussi dans une certaine normalité. V et Evey sont filmés sur le même plan, l'un est le miroir de l'autre (plongée, contre-plongée, cheveux longs et même un teint rouge sur les joues de chacun, V par son masque et Evey par son maquillage). La séquence se finit par la promesse de V qu'elle rentrera saine et sauve chez elle, ce qui convainc Evey d'assister au concert dont il se prétend être le maître d'orchestre.

Conclusion : Ce qui commenca sur une scène de sauvetage et aurait dû continuer sur une classique rencontre se transformera véritablement en un florigère de paroles, dépassant toutes les conventions possibles sur le croisement entre une femme en danger et son sauveur. Bien que V ne délivre très peu d'informations sur lui, nous connaissons déjà en réalité un nombre pas négligeable de ses traits. V est un gentleman, un révolté, un philosophe, un poète, un musicien et un croyant. Mais à l'image des réponses qu'il livre à une Evey totalement prise de court, V ne s'inscrit pas dans les normes de la société, il est un déviant de la société et c'est parce qu'il est déviant qu'aucun de ses actes dans cette séquence ne répond vraiment aux moeurs ancrés dans la société auquel il vit. Il formule ses réponses comme nul autre pareil, il sauve une demoiselle en détresse quand dans une société, il y a une lâcheté à mettre au compte d'une peur du danger et il est galant avec elle dans une société où d'autres hommes étaient tout simplement prêts à la violer juste parce qu'elle se trouvait là. En d'autres termes, cette scène de rencontre est une critique sévère au conformisme des sociétés où tout ce qui nous paraît étranger (comme V) nous paraît fou (comme le pense Evey).

 

 

Et en bonus la fameuse tirade en V (je prône la version originale pour regarder des films, mais je mets tout de même la version française pour un souci de clarté).

"Voilà ! Vois en moi l'image d'un humble vétéran de vaudeville, distribué vicieusement dans les rôles de victimes et de vilains par les vicissitudes de la vie. Ce visage, plus qu'un vil vernis de vanité est un vestige de la vox populi, aujourd'hui vacante, évanouie. Cependant cette vaillante visite d'une vexation passée se retrouve vivifiée et a fait voeux de vaincre cette vénale virulente vermine vantant le vice et versant dans la vicieusement violente et vorace violation de la volition [V marque l'affiche] Un seul verdict, la vengeance. Une vendetta telle une offrande votive mais pas en vain car sa valeur et sa véracité viendront un jour faire valoir le vigilant et le vertueux [Rires de V] En vérité, ce velouté de verbiage vire vraiment au verbeux, alors laisse-moi simplement ajouter que c'est un véritable honneur que de te rencontrer. Appelle-moi V."

 

Merci de votre attention.

 

 

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  • Un blog consacré à l'analyse filmique de plusieurs séquences inspirantes du 7è art. Car le cinéma répond à des codes et délivrent des messages qu'il est toujours bon d'étudier. J'espère ainsi que vous aurez plaisir à lire autant que j'ai plaisir à écrire.
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